C'est dans la tradition des grands peintres que se situe l'histoire de Bruno et Stella.
Bruno, qui exerce dans la ville la profession d'écrivain public et met, à ce titre, sa chaude imagination au service des amants à court de belles phrases, est follement épris de Stella. La jeune fille est douce et pure. Mais sans doute trouve-t-elle dans l'instinct féminin les inspirations qu'il faut pour s'accorder aux ardeurs de Bruno.
Celui-ci, au lendemain des noces, se réveille ébloui, transporté par la passion. Rien n'est plus charmant que Stella, plus mignon que la main de Stella, plus velouté que sa joue, mieux tourné que sa taille, plus galbé que... Bruno en oublie toute pudeur. Ou plutôt, dans son ivresse, il chante sa bien-aimée avec une impudeur exaltée. Par les paroles il vante ses attraits. Et aussi ses plus secrets ! Bruno n'y met point de malice. Il fait de Stella un portrait qui, pour être lyrique, n'en est pas moins précis.
Le malheur veut qu'une distraction du tambour de ville aidant, la rumeur publique s'empare de tout ce que la jeune épouse a d'adorable. Bruno surprend ses propres paroles passant de bouche en bouche. A peine s'il les reconnaît. Il pense plutôt à une faute de Stella. Ainsi, ce trésor tant vanté n'appartiendrait plus à lui seul ! A cette source de félicités, d'autres lèvres que les siennes se seraient posées ! Le malheureux laisse toute mesure: à l'instar de son triomphe, sa jalousie ignore la décence; elle s'étale à la face de la cité, ses cris montent jusqu'au ciel. Jamais ne vit-on mari si farouche dans le désabusement, si cruellement enclin à piétiner l'objet de ses transports.
Il fera le projet d'ôter à Stella l'existence, de retrancher cette fleur dont le parfum l'affole. Il a vécu dans une extase, le voici précipité au fond de l'enfer, et ne respirant plus que pour la vengeance.
